Il y a des fois où je n'aime pas avoir raison. Je disais dans un précédent billet :
Il va falloir être attentif pour le futur. Non pas en créant tant et plus de lois sécuritaires et liberticides, mais en traitant le mal à la racine : pauvreté, exclusion, racisme… Ce sont les causes réelles de la radicalisation de certains paumés (ce terme n’est pas utilisé ici dans son sens péjoratif).
Jens Stoltenberg, premier ministre norvégien, déclarait ceci après l’attentat à Oslo et sur l’île d’Utoya :
« Nous allons répondre à la terreur par plus de démocratie, plus d’ouverture et de tolérance. »
Ça serait pas mal que tout le monde s’en souvienne.
Bah voilà, ça n'a pas loupé. Le projet de loi relatif au renseignement est arrivé au pas de charge.
Alors que le gouvernement annonçait ne pas vouloir légiférer dans l'urgence après les attentats de janvier 2015, ce projet de loi sera présenté en procédure accélérée. En gros : moins de débats, moins de temps pour se faire une opinion, etc.
TL;DR
Les services de renseignement disposeront d'une palette gigantesque de moyens techniques pour espionner, sous les ordres du premier ministre. La légitimité de leurs actions sera contrôlée a posteriori par une commission indépendante qui, elle, n'aura que des moyens réduits. Et les raisons des actions des services de renseignement seront multiples :
- L'indépendance nationale, l'intégrité du territoire et la défense nationale ;
- Les intérêts majeurs de la politique étrangère et la prévention de toute forme d'ingérence étrangère ;
- Les intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la France ;
- La prévention du terrorisme ;
- La prévention des atteintes à la forme républicaine des institutions, des violences collectives de nature à porter atteinte à la sécurité nationale ou de la reconstitution ou d'actions tendant au maintien de groupements dissous en application de l'article L. 212-1 ;
- La prévention de la criminalité et de la délinquance organisées ;
- La prévention de la prolifération des armes de destruction massive.
On notera que certains de nos chers députés se focalisent sur l'argument du terrorisme. Sûrement parce que ça permet de dire "Si tu n'est pas pour cette loi, alors tu es pour les terroristes" (Sur l'article de Merome, un député ose dire « Vous défendez la liberté des terroristes »). C'est un peu facile d'oublier que cette loi permet aussi l'espionnage des mouvements sociaux. Le gouvernement nous assure que c'est juste pour éviter le regroupement de mouvements identitaires.
Navré, face à ceux qui nous gouvernent, je ne demande pas de la confiance, mais des garanties. Il n'y en a pas. Il n'y a aucune autorité judiciaire dans la boucle (la séparation des pouvoirs, c'est trop has been ?). Et quand bien même on voudrait se baser sur la confiance, comment faire confiance à ceux qui ne font que contredire ce qu'ils disaient lorsqu'ils étaient dans l'opposition ou ce qu'ils disaient il y a 2 mois (voir le début de cet article) ?
Petite note technique
Parmi les moyens techniques octroyés aux services de renseignement, il y une idée sans doute piquée aux services américains : la surveillance de masse. Oui oui. De belles boîtes noires posées chez les FAI histoire de surveiller le trafic internet de tout le monde et de déclencher des alertes grâce à des algorithmes bien évidemment secrets. Ça vous rappelle Minority report ? Oui, moi aussi.
Même le président de la commission de contrôle actuelle (qui serait remplacée par une autre dans ce projet de loi) dit qu'il y a un problème.
Encore un truc de geek quoi ?
Bah non. Reporters sans frontière prend aussi parti contre ce projet de loi, comme Amnesty International, la Ligue des droits de l'Homme, le syndicat de la magistrature, l'EFF, etc. Je vous invite à aller voir sur le standblog les articles sur ce projet de loi. Les revues de presse de Tristan Nitot sont très bien fournies.
Accessoirement
Comme d'habitude, ce projet de loi est rédigé dans un jargon imbitable (au-delà même du jargon légal), et les amendements proposés ne sont pas mieux. Il est dur pour le citoyen de suivre tout ça. La fabrique de la loi fournit un site qui permet de voir plus facilement les modifications d'une loi : http://git.lafabriquedelaloi.fr/parlement/pjl14-renseignement/. Faites-y donc un tour.
EDIT : Tiens, un autre lien intéressant à lire : http://signal.eu.org/blog/2015/03/17/pourquoi-la-loi-renseignement-va-etre-votee/