Un dernier merci à mes tipeurs 🙂

Pourquoi un « dernier merci » ?

Et bien… tout simple­ment parce que je vais couper mes pages Tipeee et Libe­ra­pay.

Cela fait plus de deux ans que je reçois des dons pour ce que je fais pour le libre, et ça fait chaud au cœur. Vrai­ment. Énor­mé­ment. Et ça m’a beau­coup motivé à déve­lop­per.

Néan­moins, je consi­dère que je n’ai pas besoin de ces dons, vu que je gagne confor­ta­ble­ment ma vie. De plus, j’avoue, j’éprouve une certaine lassi­tude à parfois me forcer à déve­lop­per pour ne pas lais­ser tomber mes dona­trices et dona­teurs.

Je préfère donc couper mes pages de don.

Si vous souhai­tez faire des dons à d’autres, il y a une chouette dépêche LinuxFr qui liste plein d’as­so­cia­tions qui seraient heureuses de rece­voir des dons. Pis y a le projet Fedi­lab (ancien­ne­ment Masta­lab) qui est chouette : d’un client Masto­don, c’est devenu un client pour plein de service de la fédi­verse, c’est vrai­ment un chouette projet et le déve­lop­pe­ment est très soutenu. Pour les dons, ça se passe ou alors y a la collecte pour que le déve­lop­peur puisse se payer un ordi­na­teur plus costaud pour déve­lop­per dans de bonnes condi­tions.

Ne vous inquié­tez pas, je ne vais pas arrê­ter de faire du libre, mais… disons que je pren­drais sans doute plus mon temps 😉

Et donc… Un dernier merci

Le 14 juillet 2016, j’ai lancé mes pages Tipeee et Libe­ra­pay.

La récom­pense de base est l’ap­pa­ri­tion sur une page mensuelle de remer­cie­ments… voici celle de janvier. Merci à :

Et un groooooooooooooos merci à tout ceux qui m’ont soutenu pendant ces plus de deux ans. Merci du fond du cœur ♥️


Voici mon bilan de janvier :

Crédits : Photo par Alex Hu sur Unsplash

L’art et le libre

Ça gueule un peu en ce moment dans le monde de la BD. C’est un peu la faute à David Revoy, aux licences libres et à l’édi­teur Glénat et surtout aux auteurs de BD (puisque c’est eux qui gueulent :P).

Un peu de contexte

David est l’au­teur de Pepper & Carrot, un webco­mic libre (en CC-BY) qui raconte l’his­toire d’une jeune sorcière maladroite et de son chat.
Il a choisi une voie pour le moins coura­geuse : faire appel à son public pour se finan­cer notam­ment via les plate­formes Patreon et Tipeee.
Pour en savoir plus sur David, allez lire son inter­view sur le Frama­blog par votre servi­teur.

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Glénat est un éditeur de BD tout ce qu’il y a de clas­sique, avec ceci de parti­cu­lier qu’il a la répu­ta­tion d’avoir des oursins dans les poches et que son nom est apparu dans les Panama papers.

Un évène­ment

Glénat a sorti une version papier de Pepper & Carrot.

Comme c’est du CC-BY, il n’y a pas de contrat clas­sique entre l’au­teur et l’édi­teur :

  • pas d’avance
  • pas de droits d’au­teur

Par contre, sans doute histoire de ne pas faire le gros rat, Glénat joint les contri­bu­teurs sur Patreon à hauteur de 350$ par mois (mais rien ne l’em­pêche d’ar­rê­ter du jour au lende­main). Et puis la BD est vendue à un prix infé­rieur au prix habi­tuel d’une BD de cette taille.

Les réac­tions

Parmi les fans de David, de ce que j’en ai constaté, c’est un évène­ment appré­cié.

Parmi les fans du libre aussi : si les logi­ciels libres sont assez bons pour être aujourd’­hui utili­sés par les plus grosses boîtes d’in­for­ma­tique du monde, la culture libre, elle, n’est pas très visible. Et là, ça change.

La shits­torm

La mèche a été allu­mée par Cali­maq, avec son article Pepper et Carrot : une bande dessi­née Open Source publiée chez Glénat.

Cali­maq en parle comme d’« un événe­ment inté­res­sant, qui montre comment la Culture Libre et l’in­dus­trie cultu­relle mains­tream peuvent arri­ver à entrer en syner­gie, avec des béné­fices mutuels à la clé. ». Bref, il s’en réjouit (je vous laisse lire l’ar­ticle).

Là-dessus, des dessi­na­teurs (Béhé et Boulet, et peut-être d’autres, mais ce sont les deux seuls dont j’ai reconnu le nom) sont inter­ve­nus dans les commen­taires pour appor­ter un gros bémol (on passe même dans l’oc­tave du dessous). Je vais essayer de résu­mer le gros problème que ça leur pose :

  • la situa­tion des auteurs de BD, c’est un peu la merde : payés à coup de lance-pierre, des coti­sa­tions retraite qui augmentent alors qu’ils ont à peine de quoi manger… Ça, c’est un fait établi et un autre fait établi.
  • David fout en l’air le seul outil qui leur permet­tait (aux auteurs de BDs) de faire respec­ter quelques droits en permet­tant à un éditeur qui est loin d’être à la rue de sortir un bouquin en payant des clopi­nettes à l’au­teur. Ça, c’est une opinion.
  • David est un pigeon qui se fait plumer par l’édi­teur. Ça aussi c’est une opinion.

De là, plusieurs articles sont parus :

  • Vues Éphé­mères – Rentrée 2016, qui fait une synthèse plutôt inté­res­sante du débat, avec un penchant pour contrat d’au­teur clas­sique (« C’est sans aucun doute l’er­reur majeure du « doux rêveur » (tel qu’il se décrit lui-même), que de ne pas avoir choisi une licence CC-BY-NC ») ;
  • Glénat, licences libres et crowd­fun­ding : la tech­nique de la boule de cris­tal de Neil Jomunsi, qui pèse fort bien le pour et le contre, remet le choix final dans les mains de l’au­teur (« Doit-on empê­cher un auteur de publier son travail en CC-BY au motif que le modèle proposé pour­rait donner des idées à d’autres éditeurs et que c’est pas très sympa pour les autres ? ») et pose la ques­tion fort perti­nente (d’un point de vue comme de l’autre) : « Est-ce que ça conta­mi­nera l’édi­tion ?  » ;
  • Droits d’au­teur : ambiance poivrée dans la BD de Quen­tin Girard, dont on peut se passer. Même si la synthèse de la situa­tion semble équi­li­brée à première vue, j’ai lu beau­coup de mépris pour l’œuvre de David Revoy dans cet article. Morceau choi­sis :
    • « Le récit, sans grande qualité graphique, narra­tive ou comique » Certes, les aven­tures de Pepper & Carrot sont dans le registre du mignon, qui ne convient pas à tout le monde. Mais de là à en nier la qualité graphique, il y a un monde.
    • « Comme le montre son shéma (sic), son but est de chan­ger la chaîne de diffu­sion (niant par la même occa­sion l’uti­lité des éditeurs et des libraires). » Qui a dit que David niait leur utilité ? Sur son site, au-dessus du schéma, il a plutôt indiqué « Aucun éditeur, distri­bu­teur ou commer­cial ne peut exer­cer des chan­ge­ments sur Pepper&Carrot afin de le faire rentrer dans une case du 'marché'. ». Ainsi David indique préfé­rer rester maître de son œuvre, et donc ne pas subir de pres­sions pour que ce soit plus commer­cial. 2015-02-09_philosophy_06-industry-change
    • Infan­ti­li­sa­tion de David, tactique clas­sique de déni­gre­ment : « Si jamais David Revoy, amateur des animés du Club Doro­thée et de mangas en géné­ral ».
    • Et une dernière pique, qui vise aussi le lecteur : « A moins que vous ayez 8 ans ou que vous soyez un grand amateur un peu régres­sif de sorcières colo­rées et de chats mignons (quelle origi­na­lité !), vous pouvez passer votre chemin, ou, au pire, aller lire des Mélu­sine. »

Et alors ?

Et alors, j’ai envie de donner mon avis que vous n’avez pas osé solli­ci­ter (sans doute par pudeur, bien sûr, et sûre­ment pas par ton-avis-tu-peux-te-le-mettre-où-je-pensisme). Bref. Vous ne m’avez rien demandé, mais je l’ouvre quand même. (Merci Neil pour la para­phrase)

Disclai­merS :

  • j’aime la BD. Je l’adore. Je claque un budget non négli­geable dans la BD tous les mois. J’ai fait des études de libraire (si, si, j’ai un DUT Métiers du livre option librai­rie, j’ai du me réorien­ter faute de boulot). J’aime beau­coup ce que fait Boulet, et j’ai beau­coup appré­cié les quelques BDs de Béhé que j’ai lues. Je ne souhaite donc pas leur dire « Vous avez tort et moi raison », juste leur montrer ce que moi je vois.
  • j’aime le Libre. Je l’adore. Je passe un temps non négli­geable à faire du libre tous les mois. J’ai fait des études dans le Libre (si, si, j’ai une licence Admin Sys et Réseaux à base de Logi­ciels Libres). Pour tout dire, je mange même grâce au Libre.

Je déve­loppe des logi­ciels libres. Je ne suis pas payé pour ça, je fais ça sur mon temps libre. « Ha bah voilà, faut avoir un boulot à côté pour se permettre de faire du Libre ». Non. Y en a qui sont payés pour ça. Chez Red Hat par exemple. Ou l’au­teur de l’appli Goblim, une appli­ca­tion Android qui utilise Lutim, un des logi­ciels libres que j’ai déve­loppé. Ou les gars de Odoo. Bref, on peut faire du Libre et être payé pour.
Tout comme David fait du Libre pour lui-même et pour ses patrons : les gens qui le soutiennent finan­ciè­re­ment (dont je fais par ailleurs partie).

David a fait un choix, person­nel. Est-ce qu’il créera un précé­dent ? Je crois que c’est déjà fait. Est-ce qu’une personne va faire bascu­ler l’en­semble du secteur de l’édi­tion vers une recherche féroce d’au­teurs libristes de qualité pour leur piquer leurs œuvres ? Est-ce que les éditeurs vont se mettre à dire « Oh, mais tu demandes trop toi, tu sais, moi, j’ai qu’à me pencher sur le web pour trou­ver des auteurs libristes que je pour­rais éditer sans rien leur rever­ser. » Fran­che­ment, vous y croyez ?

S’il y avait des milliers de David, finan­cés par leurs lecteurs et non pas par un éditeur, qui faisaient de la BD libre et que les éditeurs ne se mettaient à ne publier que ça, oui, les auteurs de BD auraient du souci à se faire… Mais ça n’ar­ri­vera pas avant un bon bout de temps, soyons lucides.

La BD est mal en point, entre surpro­duc­tion, salaire de misère et coti­sa­tions trop lourdes. Je pense qu’au contraire, l’exemple de David est une source d’es­poir : un auteur non publié a réussi à se consti­tuer un lecto­rat solide qui le rému­nère. Pourquoi ne pas tenter la même chose ?

« On va quand même pas bosser pour des prunes en atten­dant d’avoir un lecto­rat solide ! Maliki a réussi son pari parce qu’elle est déjà connue ! » Alors, déjà, avant de trou­ver un éditeur, j’ima­gine que les auteurs de BD bossent pour présen­ter un book, parce que se poin­ter la gueule enfa­ri­née et les mains dans les poches en disant « Je suis dessi­na­teur/scéna­riste, vous voulez m’em­bau­cher ? », ça doit pas marcher des masses. Donc la publi­ca­tion des travaux sur le net, ça peut faire double emploi : créa­tion du book et consti­tu­tion du lecto­rat. Où est le mal ? De plus, si vous réus­sis­sez à avoir suffi­sam­ment de mécènes, est-ce que ça ne renver­se­rait pas le rapport de force avec l’édi­teur ? Est-ce que vous ne pour­riez pas lui dire de se mettre son contrat là où le soleil ne brille jamais si vous savez que vous aurez un salaire versé par des gens qui aiment sincè­re­ment ce que vous faites ? Et si vous ne gagnez pas assez avec le mécé­nat pour vous consa­crer à plein temps à votre art, est-ce que ce n’est pas un complé­ment de revenu qui fait toujours plai­sir ?

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« Oui, bon, ok, mais alors pas de licence libre ! » Ça c’est toi qui voit mon coco, on t’oblige à rien. David a effec­ti­ve­ment fait un pari risqué avec sa licence très libre (plus libre que ça, y a que la CC-0, qui est l’équi­valent du domaine public). Et il y a un éditeur qui a profité du système. OK. C’est le jeu ma pauvre Lucette. Mais grâce à sa licence libre, David permet de démul­ti­plier la diffu­sion de Pepper & Carrot au travers de multiple médias. Et la licence libre me permet à moi, de repos­ter ici des images de Pepper & Carrot sans risquer quoi que ce soit. Tu peux même choi­sir une licence non-libre qui te permet quand même de permettre beau­coup de choses sauf l’usage commer­cial (la clause NC des licences Crea­tive Commons).

EDIT : une licence libre n’in­ter­dit pas de passer des contrats, clas­siques ou non, avec des éditeurs. Les Frama­books sont des livres libres, et les auteurs ont bien passé un contrat avec verse­ment de droits d’au­teur (15% du prix du livre).

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« La noto­riété, ça paye pas les factures. » Dans le cas de David, si, puisque plus d’au­dience, c’est plus de mécènes poten­tiels. Et Maliki, c’est pas sa noto­riété qui lui paye ses factures aujourd’­hui ?

Le problème du riche éditeur qui tond le pauvre libris­te… Mais Inter­net ne serait pas ce qu’il serait sans les libristes, ces doux rêveurs, ces commu­nistes, ces liber­ta­riens, ces liber­taires ! (choi­sis­sez l’ana­thème de votre choix)
Google existe grâce à Linux et Python, Face­book utilise PHP, les serveurs webs libres équipent plus la moitié des sites web les plus popu­laires, Word­press est le CMS le plus utilisé au monde, vous vous servez sans doute souvent de Wiki­pé­dia… Même Windows avait piqué sa pile réseau à BSD ! Et vous note­rez que les logi­ciels non-libres n’ont pas disparu pour autant… vous voyez, faut pas avoir peur 🙂

Qui nous dit que la culture libre n’aura pas le même impact que les logi­ciels libres dans 10, 20 ou 30 ans ? Est-ce que ce ne serait pas agréable de se dire qu’on y a contri­bué ?

Le mal-être actuel des auteurs de BD est peut-être bien l’oc­ca­sion de repen­ser le métier. Beau­coup de métiers ont évolués ou dispa­rus, presque du jour au lende­main (pour encore citer Neil : « Télé­graphe, maré­chal-ferrand, allu­meur de becs de gaz, vendeur de jour­naux à la criée »), pourquoi ne pas faire évoluer celui d’au­teur de BD ? (et pas que de BD)

Pourquoi reje­ter forcé­ment une autre voie et vouloir répa­rer un système (et je ne parle même pas du droit d’au­teur mais du système édito­rial actuel) qui semble si malade ?

EDIT 2 : Neil a écrit un nouvel article qui rejoint tout à fait mon point de vue.

Cet article est diffusé sous licence CC-0
Crédits :

  • illus­tra­tions David Revoy, CC-BY
  • cita­tion de Cali­maq, CC-0
  • cita­tions de Neil Jomunsi, CC-BY-SA
  • cita­tions de Quen­tin Girard, ©